Par Tony Fournier, M.A. Psychologue de la santé
Quand on se croit du bon bord...
L'objet de mon article se situe principalement sur l'explication de nos réflexes humains lorsque nous sommes sous l'emprise de la peur devant l'incertitude; car peurs et incertitude il y a dans ce contexte de pandémie. Je crois que la COVID-19 vient stimuler un problème beaucoup plus large que la gestion d'un virus. La manière de composer avec cette situation parle de nos sociétés, de nos visions de la santé et de l'être humain. Cette polarisation à laquelle nous assistons et contribuons pourrait être vue en quelque sorte comme un symptôme!
Difficile de résister à nos réflexes de survie. Et se camper d'un côté ou de l'autre (...et je dis bien se «camper») relève effectivement et instinctivement de nos mécanismes de survie. Ceux-ci ont pour fonction de préserver notre intégrité. Ils sont à comprendre sur un spectre de la «souplesse», du moins rigide au plus rigide, selon la situation, la menace perçue et le vécu, l'histoire et le tempérament de la personne en jeu.
Comment pourrions-nous aborder ce problème de pandémie ensemble? Tendre humblement, ensemble, vers des solutions sécuritaires qui prendront soin du vécu et des besoins globaux, manifestement «humains»? Quelle place demeure actuellement dans cette crise pour questionner, interpeller, discuter, partager et oui, argumenter pour en arriver à comprendre mais surtout à se comprendre mutuellement? Actuellement, si on ose questionner les mesures sanitaires, on est complotistes. Si on ne dit rien, on est des moutons. Mais à ce jour, 19 octobre 2020, il me semble voir de plus en plus de gens sortir et dénoncer les choses de façon plus nuancée... peut-être y a-t-il espoir.
Les pro-masques comme les anti-masques, pour nous nommer ainsi pour les fins de l'exercice, défendent la même chose: leur intégrité et celle de la population, de leurs proches parents et de leurs amis. De manière caricaturale, car à mettre aussi sur un spectre, nous pourrions dire que les premiers tendent à mettre à l'avant plan leur intégrité physique, dans une approche médicalisée et politique de gestion d'urgence, les seconds visent leur intégrité psychologique et sociale, leurs droits. Les deux groupes se croient d'ailleurs sincèrement «du bon bord». Aucun des deux groupes ne prétend avoir une intention négative bien que chacun prête des intentions suspectes à l'autre groupe.
Chacun des deux groupes est constitué d'humains portant aussi ce potentiel dangereux du dogme. Dogme de la résistance à l'oppression, justifié par des associations d'idées et de croyances parfois sans fondement, dogme de la dite Science, justifié par les chiffres, la recherche d'un absolu. Dans les deux camps, vous trouverez des «extrémistes». Dans les deux camps, des individus auront besoin de mécanismes de défense «rigides» pour leur donner l'illusion de contrôle, de préservation de leur intégrité. «J'ai entièrement raison, vous avez entièrement tord». C'est à ce niveau que le mépris, la hargne, le dédain, la violence et l'agression règnent. On les lit dans les forums de discussion sur le web dans des attaques personnelles et on les entend également sortir de la bouche de politiciens à la télé. Une ambiance austère et un climat de colère très malsains pour le corps et pour l'esprit pour traverser une telle crise. Cette colère qui brise des relations et qui nuit à la santé du coeur et à la globalité du métabolisme, particulièrement quand le stresseur émotionnel devient chronique et prolongé dans le temps, comme nous le vivons depuis des mois ! Et tout le monde sait que ce n'est pas le mépris qui fait changer d'idée.
Mais partons de l'hypothèse, devant la COVID, que les deux camps ont raison... d'avoir peur. Peur d'être contrôlé, peur de perdre le contrôle, entre autres. Mais peur....
Si vous avez peur des araignées, il ne suffit pas qu'on vous dise «N'aie pas peur» pour que vous arrêtiez d'avoir peur. Si l'on vous «éduque», en vous renseignant, en vous donnant de l'information factuelle, en vous disant que cette araignée ne pique pas par exemple, peut-être arriverez-vous à mieux contrôler votre peur. Mais vous aurez quand même peur parce que c'est votre représentation dans toute sa complexité de ce qu'est une araignée qui vous fait peur et non l'araignée elle-même. Il en va de même avec nos représentations de l'autorité, de la santé, des virus, de la rébellion... Il est ainsi très difficile de convaincre quelqu'un intellectuellement alors qu'il est sous l'emprise de sa peur et dans un système rigide de défense. Ce qu'il défend, ce ne sont pas juste des idées, c'est sa représentation de la réalité, sa conception du monde, la construction de «son monde», son identité, qui lui permet de fonctionner psychologiquement.
Quand la peur habite le cerveau et le corps, les facultés cognitives prennent le bord. Nous ne réfléchissons plus de manière articulée et plusieurs biais cognitifs prennent alors le dessus. Faites une petite recherche sur le net sur les biais cognitifs, (choisissez vos sources) et tenter l'exercice de reconnaître les vôtres plutôt que ceux des autres! Ce phénomène est universel que nous ayions des connaissances et beaucoup d'éducation ou peu. Chacun est sujet à des biais cognitifs, surtout sous l'emprise d'un stresseur émotionnel. Et même un discours qui peut apparaître cohérent, voire intellectuel, n'est d'ailleurs pas nécessairement en phase avec la science. L'esprit scientifique est un esprit d'ouverture et de curiosité sur ce qui n'est pas encore compris et non de dogme, d'absolus et de certitudes. La recherche n'est pas la science. La recherche mène sur des découvertes qui deviennent éventuellement des faits reconnus de tous... jusqu'à ce qu'ils soient infirmés par de nouvelles recherches et que nous ayions à réajuster notre tir pour composer avec la réalité. Ce constat est épeurant à s'avouer mais un scientifique reconnaît cela. Il sait qu'il doit naviguer humblement avec l'incertitude et être prudent face à ses propres biais personnels.
Et c'est ici que s'ajoute le concept d'intelligence émotionnelle: cette conscience de soi, de ses blessures psychologiques personnelles, de ses sensations et émotions, cette habileté à se réguler émotionnellement et affectivement et à communiquer ses émotions et ses besoins... L'intelligence émotionnelle est le berceau de l'intelligence cognitive et non l'inverse. Du coup, on peut penser que les personnes les plus nuancées intellectuellement auront aussi de bonnes habiletés émotionnelles dont fera partie leur capacité à tolérer l'ambiguité. Car tous ces biais cognitifs, vous l'aurez compris, servent à la même chose: remplir le vide si anxiogène par des présuppositions, des a priori, des hypothèses que l'on fait tourner en vérités, dans le seul but de nous apaiser devant l'inconnu. On peut voir ce phénomène chez les conspirationnistes et aussi dans le discours politique pour se rassurer soi-même, en tête d'une gestion de crise, et pour rassurer la population. Le phénomène sectaire est à cet égard une belle représentation compensatoire de constructions mentales basées sur des croyances, sur une conception du monde, servant à préserver l'intégrité d'un individu et à «contenir» tous ses doutes à propos de la vie. Et l'on sait que l'on y retrouve des gens très intelligents, détenteurs de doctorat par exemple.
L'être humain est donc doté de ces réflexes de survie qui heureusement lui ont servi à mieux composer avec sa réalité d'enfance mais il est aussi doté de la conscience qui lui permet de se voir aller, de faire le choix de se désidentifier de ses vieux mécanismes réflexes de protection, de se ramener en «équanimité», et de bonne foi, en ouverture. Humble devant l'incertitude. Mais encore faut-il le choisir et ne pas se trouver trop loin, vers la rigidité, sur l'axe de la souplesse pour être en ouverture à une communication. La peur et l'empathie ne peuvent co-exister en même temps. La peur, l'insécurité, l'emportent trop souvent et rendent difficile la communication. Pourtant l'empathie ne consiste pas à adhérer aux idées de l'autre, à lui donner raison, mais bien à se connecter avec ses peurs sous-jacentes à ses idées et à se souvenir qu'il défend avant tout son intégrité, comme soi-même. Sans être magique, car il y aura toujours des gens très rigides et bornés, l'exercice d'empathie sincère peut parfois surprendre. En se sentant compris et accueilli, on relâche... au point même parfois de changer d'idées et de se reconnaître, en partie, dans l'autre. Essayez-le, sincèrement... mais choisissez vos candidats !
Ouvrir des espaces de dialogue éviterait peut-être des confrontations et des manifestations; ce qui semble a priori incompatible avec une gestion d'urgence sanitaire. Oui, cela prend du temps et chacun devrait en être responsable, individus comme groupes politiques ou groupes manifestants, pour mieux cohabiter, dans une perspective de co-responsabilisation. Demeurer chacun sur sa position n'offre rien de constructif. «La bêtise humaine consiste à continuer de faire toujours la même chose en espérant avoir des résultats différents», disait Einstein.
En terminant, il m'apparaît cette autre forme de biais dans notre culture occidentale qui participe à cette polarisation de la société et à cibler certains choix dans la gestion d'une crise sanitaire. Il s'agit d'une vision encore trop bio-médicale de la santé. Une perspective plus systémique, plus sociale, globale et véritablement basée sur la prévention, conduirait à une gestion de crise davantage biopsychosociale, qui répondrait toujours le plus scientifiquement possible, aux besoins globaux d'une population psychologiquement ébranlée. Une vision appliquée de la santé biopsychosociale considérerait les risques liés à l'intégrité physiques tout en reconnaissant davantage l'importance des déterminants psychosociaux sur la santé. Dans une société qui vise le risque zéro, on applique actuellement un principe de précaution peut-être exagérée. Le prix à payer est élevé. Priver par exemple les jeunes de contacts sociaux et les personnes âgées de leurs aidants naturels, sans suffisamment prendre en compte les données sur l'impact important des relations affectives de qualité sur le métabolisme humain, la santé mentale et physique, aura été une très mauvaise décision que nous devrons payer à long terme pour avoir voulu, mais on peut le comprendre, éviter la mort.
Je rêve donc du jour où les sciences sociales, psychologie de la santé, sociologie, éthique, pèseront davantage dans la balance, avec le point de vue médical, pour gérer de telles crises. Je rêve du jour où nos enfants auront accès dès le primaire à des programmes officiels de formation appliquée qui contiendront des cours sur la manière de réfléchir, de penser (philosophie et éthique), sur la communication non violente, sur la pleine conscience, sur l'empathie, le développement d'habiletés relationnelles et la santé intégrative. Je rêve du jour où nous comprendrons l'intelligence émotionnelle et l'auto-responsabilisation (empowerment) comme étant des déterminants de la santé, où la vieillesse ne sera pas vue comme une maladie, où nos aînés auront encore une place dans la société et où la mort sera mieux apprivoisée. La population de demain mieux outillée émotionnellement sera peut-être moins polarisée, nos urgences seront peut-être moins remplies par des motifs de consultation liés au stress (c'est actuellement la majorité) et les gestions sanitaires futures seront peut-être différentes! Plus d'intelligence émotionnelle conduit à plus de sécurité intérieure et à plus de souplesse, plus de sécurité et de souplesse conduit à une meilleure capacité à composer avec le flou. En ce sens, l'accès universel à la psychothérapie, un espace sécuritaire pour rencontrer nos peurs et nos rigidités, serait peut-être la démonstration d'un premier pas dans la direction d'une vision plus systémique de la santé...
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Quand on se croit du bon bord...
L'objet de mon article se situe principalement sur l'explication de nos réflexes humains lorsque nous sommes sous l'emprise de la peur devant l'incertitude; car peurs et incertitude il y a dans ce contexte de pandémie. Je crois que la COVID-19 vient stimuler un problème beaucoup plus large que la gestion d'un virus. La manière de composer avec cette situation parle de nos sociétés, de nos visions de la santé et de l'être humain. Cette polarisation à laquelle nous assistons et contribuons pourrait être vue en quelque sorte comme un symptôme!
Difficile de résister à nos réflexes de survie. Et se camper d'un côté ou de l'autre (...et je dis bien se «camper») relève effectivement et instinctivement de nos mécanismes de survie. Ceux-ci ont pour fonction de préserver notre intégrité. Ils sont à comprendre sur un spectre de la «souplesse», du moins rigide au plus rigide, selon la situation, la menace perçue et le vécu, l'histoire et le tempérament de la personne en jeu.
Comment pourrions-nous aborder ce problème de pandémie ensemble? Tendre humblement, ensemble, vers des solutions sécuritaires qui prendront soin du vécu et des besoins globaux, manifestement «humains»? Quelle place demeure actuellement dans cette crise pour questionner, interpeller, discuter, partager et oui, argumenter pour en arriver à comprendre mais surtout à se comprendre mutuellement? Actuellement, si on ose questionner les mesures sanitaires, on est complotistes. Si on ne dit rien, on est des moutons. Mais à ce jour, 19 octobre 2020, il me semble voir de plus en plus de gens sortir et dénoncer les choses de façon plus nuancée... peut-être y a-t-il espoir.
Les pro-masques comme les anti-masques, pour nous nommer ainsi pour les fins de l'exercice, défendent la même chose: leur intégrité et celle de la population, de leurs proches parents et de leurs amis. De manière caricaturale, car à mettre aussi sur un spectre, nous pourrions dire que les premiers tendent à mettre à l'avant plan leur intégrité physique, dans une approche médicalisée et politique de gestion d'urgence, les seconds visent leur intégrité psychologique et sociale, leurs droits. Les deux groupes se croient d'ailleurs sincèrement «du bon bord». Aucun des deux groupes ne prétend avoir une intention négative bien que chacun prête des intentions suspectes à l'autre groupe.
Chacun des deux groupes est constitué d'humains portant aussi ce potentiel dangereux du dogme. Dogme de la résistance à l'oppression, justifié par des associations d'idées et de croyances parfois sans fondement, dogme de la dite Science, justifié par les chiffres, la recherche d'un absolu. Dans les deux camps, vous trouverez des «extrémistes». Dans les deux camps, des individus auront besoin de mécanismes de défense «rigides» pour leur donner l'illusion de contrôle, de préservation de leur intégrité. «J'ai entièrement raison, vous avez entièrement tord». C'est à ce niveau que le mépris, la hargne, le dédain, la violence et l'agression règnent. On les lit dans les forums de discussion sur le web dans des attaques personnelles et on les entend également sortir de la bouche de politiciens à la télé. Une ambiance austère et un climat de colère très malsains pour le corps et pour l'esprit pour traverser une telle crise. Cette colère qui brise des relations et qui nuit à la santé du coeur et à la globalité du métabolisme, particulièrement quand le stresseur émotionnel devient chronique et prolongé dans le temps, comme nous le vivons depuis des mois ! Et tout le monde sait que ce n'est pas le mépris qui fait changer d'idée.
Mais partons de l'hypothèse, devant la COVID, que les deux camps ont raison... d'avoir peur. Peur d'être contrôlé, peur de perdre le contrôle, entre autres. Mais peur....
Si vous avez peur des araignées, il ne suffit pas qu'on vous dise «N'aie pas peur» pour que vous arrêtiez d'avoir peur. Si l'on vous «éduque», en vous renseignant, en vous donnant de l'information factuelle, en vous disant que cette araignée ne pique pas par exemple, peut-être arriverez-vous à mieux contrôler votre peur. Mais vous aurez quand même peur parce que c'est votre représentation dans toute sa complexité de ce qu'est une araignée qui vous fait peur et non l'araignée elle-même. Il en va de même avec nos représentations de l'autorité, de la santé, des virus, de la rébellion... Il est ainsi très difficile de convaincre quelqu'un intellectuellement alors qu'il est sous l'emprise de sa peur et dans un système rigide de défense. Ce qu'il défend, ce ne sont pas juste des idées, c'est sa représentation de la réalité, sa conception du monde, la construction de «son monde», son identité, qui lui permet de fonctionner psychologiquement.
Quand la peur habite le cerveau et le corps, les facultés cognitives prennent le bord. Nous ne réfléchissons plus de manière articulée et plusieurs biais cognitifs prennent alors le dessus. Faites une petite recherche sur le net sur les biais cognitifs, (choisissez vos sources) et tenter l'exercice de reconnaître les vôtres plutôt que ceux des autres! Ce phénomène est universel que nous ayions des connaissances et beaucoup d'éducation ou peu. Chacun est sujet à des biais cognitifs, surtout sous l'emprise d'un stresseur émotionnel. Et même un discours qui peut apparaître cohérent, voire intellectuel, n'est d'ailleurs pas nécessairement en phase avec la science. L'esprit scientifique est un esprit d'ouverture et de curiosité sur ce qui n'est pas encore compris et non de dogme, d'absolus et de certitudes. La recherche n'est pas la science. La recherche mène sur des découvertes qui deviennent éventuellement des faits reconnus de tous... jusqu'à ce qu'ils soient infirmés par de nouvelles recherches et que nous ayions à réajuster notre tir pour composer avec la réalité. Ce constat est épeurant à s'avouer mais un scientifique reconnaît cela. Il sait qu'il doit naviguer humblement avec l'incertitude et être prudent face à ses propres biais personnels.
Et c'est ici que s'ajoute le concept d'intelligence émotionnelle: cette conscience de soi, de ses blessures psychologiques personnelles, de ses sensations et émotions, cette habileté à se réguler émotionnellement et affectivement et à communiquer ses émotions et ses besoins... L'intelligence émotionnelle est le berceau de l'intelligence cognitive et non l'inverse. Du coup, on peut penser que les personnes les plus nuancées intellectuellement auront aussi de bonnes habiletés émotionnelles dont fera partie leur capacité à tolérer l'ambiguité. Car tous ces biais cognitifs, vous l'aurez compris, servent à la même chose: remplir le vide si anxiogène par des présuppositions, des a priori, des hypothèses que l'on fait tourner en vérités, dans le seul but de nous apaiser devant l'inconnu. On peut voir ce phénomène chez les conspirationnistes et aussi dans le discours politique pour se rassurer soi-même, en tête d'une gestion de crise, et pour rassurer la population. Le phénomène sectaire est à cet égard une belle représentation compensatoire de constructions mentales basées sur des croyances, sur une conception du monde, servant à préserver l'intégrité d'un individu et à «contenir» tous ses doutes à propos de la vie. Et l'on sait que l'on y retrouve des gens très intelligents, détenteurs de doctorat par exemple.
L'être humain est donc doté de ces réflexes de survie qui heureusement lui ont servi à mieux composer avec sa réalité d'enfance mais il est aussi doté de la conscience qui lui permet de se voir aller, de faire le choix de se désidentifier de ses vieux mécanismes réflexes de protection, de se ramener en «équanimité», et de bonne foi, en ouverture. Humble devant l'incertitude. Mais encore faut-il le choisir et ne pas se trouver trop loin, vers la rigidité, sur l'axe de la souplesse pour être en ouverture à une communication. La peur et l'empathie ne peuvent co-exister en même temps. La peur, l'insécurité, l'emportent trop souvent et rendent difficile la communication. Pourtant l'empathie ne consiste pas à adhérer aux idées de l'autre, à lui donner raison, mais bien à se connecter avec ses peurs sous-jacentes à ses idées et à se souvenir qu'il défend avant tout son intégrité, comme soi-même. Sans être magique, car il y aura toujours des gens très rigides et bornés, l'exercice d'empathie sincère peut parfois surprendre. En se sentant compris et accueilli, on relâche... au point même parfois de changer d'idées et de se reconnaître, en partie, dans l'autre. Essayez-le, sincèrement... mais choisissez vos candidats !
Ouvrir des espaces de dialogue éviterait peut-être des confrontations et des manifestations; ce qui semble a priori incompatible avec une gestion d'urgence sanitaire. Oui, cela prend du temps et chacun devrait en être responsable, individus comme groupes politiques ou groupes manifestants, pour mieux cohabiter, dans une perspective de co-responsabilisation. Demeurer chacun sur sa position n'offre rien de constructif. «La bêtise humaine consiste à continuer de faire toujours la même chose en espérant avoir des résultats différents», disait Einstein.
En terminant, il m'apparaît cette autre forme de biais dans notre culture occidentale qui participe à cette polarisation de la société et à cibler certains choix dans la gestion d'une crise sanitaire. Il s'agit d'une vision encore trop bio-médicale de la santé. Une perspective plus systémique, plus sociale, globale et véritablement basée sur la prévention, conduirait à une gestion de crise davantage biopsychosociale, qui répondrait toujours le plus scientifiquement possible, aux besoins globaux d'une population psychologiquement ébranlée. Une vision appliquée de la santé biopsychosociale considérerait les risques liés à l'intégrité physiques tout en reconnaissant davantage l'importance des déterminants psychosociaux sur la santé. Dans une société qui vise le risque zéro, on applique actuellement un principe de précaution peut-être exagérée. Le prix à payer est élevé. Priver par exemple les jeunes de contacts sociaux et les personnes âgées de leurs aidants naturels, sans suffisamment prendre en compte les données sur l'impact important des relations affectives de qualité sur le métabolisme humain, la santé mentale et physique, aura été une très mauvaise décision que nous devrons payer à long terme pour avoir voulu, mais on peut le comprendre, éviter la mort.
Je rêve donc du jour où les sciences sociales, psychologie de la santé, sociologie, éthique, pèseront davantage dans la balance, avec le point de vue médical, pour gérer de telles crises. Je rêve du jour où nos enfants auront accès dès le primaire à des programmes officiels de formation appliquée qui contiendront des cours sur la manière de réfléchir, de penser (philosophie et éthique), sur la communication non violente, sur la pleine conscience, sur l'empathie, le développement d'habiletés relationnelles et la santé intégrative. Je rêve du jour où nous comprendrons l'intelligence émotionnelle et l'auto-responsabilisation (empowerment) comme étant des déterminants de la santé, où la vieillesse ne sera pas vue comme une maladie, où nos aînés auront encore une place dans la société et où la mort sera mieux apprivoisée. La population de demain mieux outillée émotionnellement sera peut-être moins polarisée, nos urgences seront peut-être moins remplies par des motifs de consultation liés au stress (c'est actuellement la majorité) et les gestions sanitaires futures seront peut-être différentes! Plus d'intelligence émotionnelle conduit à plus de sécurité intérieure et à plus de souplesse, plus de sécurité et de souplesse conduit à une meilleure capacité à composer avec le flou. En ce sens, l'accès universel à la psychothérapie, un espace sécuritaire pour rencontrer nos peurs et nos rigidités, serait peut-être la démonstration d'un premier pas dans la direction d'une vision plus systémique de la santé...
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